Chroniques

par michel slama

récital David Lively et Tatiana Samouil
Debussy – Fauré – Massenet – Ravel

1 CD Indésens Records (2018)
INDE 108
David Lively accompagne Tatiana Samouil dans un programme français

Le label Indésens Records offre aujourd’hui Clair de lune, superbe compilation constituée d’opus chambristes français du tournant du XXe siècle. Admirablement servi par le duo formé par la violoniste russe Tatiana Samouil et le pianiste franco-américain David Lively, l’album présente la fine fleur des sonates françaises pour violon et piano de cette époque, au côté de transcriptions de bis pour ce même instrumentarium.

C’est avec la Sonate pour violon et piano en sol majeur n°2 de Maurice Ravel que débute ce programme. L’œuvre fut créée le 30 mai 1927 par le compositeur au clavier et le violoniste George Enescu. Sa gestation semble avoir pris cinq ans. Ravel aurait dit qu’il avait besoin de tout ce temps pour « éliminer les notes inutiles » et, dans un autre texte, que le violon lui semblait « essentiellement incompatible » avec le piano… Elle est cependant passée à la postérité pour son deuxième mouvement, Blues, en hommage à son ami George Gershwin avec lequel il fréquenta les nightclubs new-yorkais. La virtuosité dont fait preuve Tatiana Samouil est époustouflante, spécialement dans le dernier mouvement, particulièrement acrobatique. Le piano de David Lively est un fidèle complice, fort à l’écoute. Le duo aime la musique française et cela s’entend. Tout au long de ce joli programme, on admire la quête du style, entre Belle Époque et Années folles, à travers les nuances et les contrastes inhérents à cette musique atypique.

Après un rêve Op.7 (1871) de Gabriel Fauré, transcrit par la violoniste, ouvre une deuxième partie qui se conclue avec la très célèbre Sonate en la majeur Op.13 n°1 (1876). Là aussi, nulle mièvrerie ni afféterie à attendre de notre duo, mais une délicate tendresse retenue. On regrettera peut-être l’atmosphère manquant de mystère des deux derniers mouvements, pris un peu trop rapidement et, du coup, sacrifiant quelque peu l’élégance délicate du chant fauréen.

Un second bis, qui donne son titre à l’album, ouvre la troisième partie, consacrée à Claude Debussy, cette fois. L’intéressante adaptation de Clair de lune (Suite bergamasque, 1890) est d’Alexandre Roelens (1881-1948), arrangeur de génie qui a beaucoup transcrit Debussy et qui surprend par sa structure où le violon est clairement prédominant. Autre œuvre testamentaire, la Sonate pour violon et piano en sol mineur, créée en 1917, quelques mois avant la disparition du compositeur. « Pleine d’un joyeux tumulte », elle se caractérise par des accents étranges et angoissés, douloureux et tendres. Sous son apparence fantasque, l’Intermède central semble dissimuler un sentiment tragique. Debussy évoquait pour le Finale, qui lui donna beaucoup de mal, un « jeu simple d’une idée tournant sur elle-même comme un serpent qui se mord la queue ». Une fois de plus, notre duo ne déçoit pas, par un ton approprié et un style irréprochable.

Pour finir, les interprètes proposent une interprétation magistrale de Tzigane, rhapsodie de concert que Ravel réécrivit pour violon et piano après le succès de la version originale pour violon et orchestre (1924). S’ensuit une version superlative pour son émotion et sa virtuosité, emplie de mystère, de la Méditation de Thaïs, transcrite de l’opéra éponyme de Jules Massenet (1894) par le violoniste wallon Martin-Pierre Marsick (1847-1924). En vedette pour ses deux pièces célébrissimes, Tatiana Samouil est admirable, parfaite de style et d’élégante virtuosité. Tout au long de ce florilège, l’entente règne à merveille entre elle et David Lively qui l’accompagne avec talent et efficacité, partenaire discret qui sait s’effacer devant sa cadette quand il le faut. Cette complicité s’est forgée au fil des différentes tournées qu’ils ont données en France et à l’étranger. Un disque d’exception à réécouter à l’envi et à recommander sans réserve.

MS