Chroniques

par nicolas munck

récital Ensemble Mesostics
Cavanna – Hurel – Matalon

1 CD + 1 DVD Hortus (2013)
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récital Ensemble Mesostics | Cavanna – Hurel – Matalon

Le nom de l’Ensemble Mesostics (terme anglophone faisant référence à la figure poétique du mésostiche, du grec « mesos », milieu ; il concerne les lettres médianes du poème formant un mot) n’est peut-être pas encore familier à vos oreilles, mais parions qu’il faudra désormais compter avec lui. Fondé en 2010 sous l’impulsion de la pianiste et musicologue Anne de Fornel – membre du Trio Steuermann que nous évoquions récemment [lire notre chronique du 23 novembre 2013] –, cette jeune et vivifiante phalange, constituée de musiciens lauréats de nombreux concours internationaux et solistes dans les grands orchestres européens, propose, sous l’angle du tramage et du maillage esthétique, trois lectures (ou relectures) du genre concertant au XXIe siècle. La jeune formation est ici portée par l’excellence de Jean Geoffroy et de Renaud Déjardin, qui en assurent la direction musicale.

Au cœur de ce projet discographique ambitieux et aux contours inédits (premiers enregistrements de Trame I et de la dernière version de Trame VII), quatre opus du compositeur argentin Martín Matalon (l’idée du journal intime n’est qu’à quelques pas). De façon comparable au cycle des Traces, les Trames, qui reflètent avec pertinence la trajectoire du créateur, abordent un ensemble de problématiques compositionnelles évolutives, sorte de « fil d’Ariane » (visible ou invisible) de son activité. Nous voici conviés à un voyage quasi introspectif à l’intérieur de l’instrument soliste et de son environnement, et d’un genre dont le modèle historique serait sans doute les Concertos Brandebourgeois de Bach. En contrepoint CD/DVD de ces quatre Trames, aux effectifs et orchestrations sans cesse renouvelées, les Interstices pour piano solo et trois percussions de Philippe Hurel (2009) et le conflictuel Concerto pour violon de Bernard Cavanna (1999).

Au delà de la richesse du « fil concertant », un autre aspect, cette fois inscrit dans une réalité de perception, semble unir les propositions de Matalon et d’Hurel dans un tout cohérent : l’idée d’une métaphore – on pourrait également parler d’ambiguïté – du modèle mixte ou électronique comme outil d’instrumentation et d’orchestration. Pour preuves, deux sections de Traces IV pour marimba, six mokubios et dispositif électronique sont ré-exploitées dans les Interludes I et II de Trame VIII (pour marimba solo et ensemble) et deux fragments de Tram VII (pour cor solo et ensemble), et serviront à l’élaboration de la partition électronique de Traces III pour cor et dispositif électronique. Les deux cycles fondateurs du compositeur sont donc intimement liés dans une pensée mixte du phénomène sonore. Ainsi trouve-t-on, dans l’ensemble des Trames présentées, une « électronique-acoustique » poétisée où la transformation et le plugin sont toujours en substance. Une oreille habituée y entendra sûrement harmonizer, delay(s) polyphoniques, synthèse granulaire, etc. Cette idée de son complexe détempéré quasi électronique se retrouve avec la même vivacité dans Interstices d’Hurel. Il y a là un véritable trait générationnel, parfaitement rendu audible par le présent programme – un « tramage(s) », donc, au delà de la Trame, choix pertinent s’il en est.

Bien sûr, complexité et ambiguïté ne sont effectives que par l’attention constante portée à l’articulation du son, à une rigueur et une précision rythmique de tous les instants. Sur ce point, nous pouvons compter sur le formidable travail réalisé par Jean Geoffroy et la réactivité d’un ensemble irréprochable. À de nombreuses reprises (et lors d’écoutes au casque et partitions en main), nous restons fascinés par une gestion parfaite des équilibres et effets d’orchestration témoignant d’une approche analytique ô combien consciente de ce qui fait tenir et respirer cette musique. Comme le dirait Philippe Hurel, il ne s’agit pas tant de « jouer en place pour jouer en place » mais de « jouer ensemble pour créer de beaux timbres ». Dans les partitions de l’un comme de l’autre, l’écriture rythmique est souvent indissociable du timbre et de sa transformation. Cet enregistrement reflète avec intelligence cette idée. Ayant eu l’occasion de travailler sur les enregistrements des Trames existantes pour de nombreux travaux d’analyse (notamment les IV et VIII), nous trouvons même dans cette nouvelle proposition une clarté et une articulation qui se font parfois plus naturelles. Le travail méticuleux de résidence auprès du compositeur, intervenant sur le projet en tant que directeur artistique, et les qualités évidentes de Mesostics y sont bien sûr pour quelque chose. Soulignons les performances du groupe de solistes investis dans ces Trames, Interstices et le Concerto pour violon. Prolongeant cette réflexion et cette attention portée à la qualité du timbre et à son émission, avec brio nos solistes viennent à bout de partitions exigeantes et très exposées. Pour compléter ce séduisant tableau, un mastering accompagne idéalement les choix interprétatifs, sous la houlette de Franck Rossi.

Dans un coffret élégant dont le visuel fut confié à l’artiste américaine Jean Lodge (Tramages, gravure sur bois, 2013), se trouve aussi un DVD d’entretiens (avec Martín Matalon, Bernard Cavanna, Jean Geoffroy et Anne de Fornel) et de sessions de répétitions dans l’Auditorium Marcel Landowski du CRR de Paris. Sans jouer la carte de la justification, ce complément judicieux, agréable et bien réalisé (Hibou Production) permet de revenir sur l’ambition et la portée de ce projet discographique. Un minuscule regret peut-être… les différentes sessions filmées font assister à des filages plutôt qu’à un travail de réglage des derniers détails. La chose était sûrement plus complexe à mettre en place (notamment d’un point de vue temporel), mais on aurait aimé la présentation de temps de répétitions en début et fin de projet afin de mesurer l’évolution et la méthode de travail de Mesostics.

Qu’ajouter de plus ? Nous savons bien que porter une telle réalisation représente un travail colossal tant d’un point de vue logistique qu’interprétatif. Les efforts de l’ensemble, de sa directrice artistique et des différents acteurs-clés de cette production culminent dans cette série d’enregistrements intelligents, dont des inédits, et d’une qualité musicale incontestable. Souhaitons bon vent à une formation manifestement à l’aube d’un captivant parcours artistique… que nous suivrons !

NM