Chroniques

par laurent bergnach

récital Revue Blanche
Auric – Casella – Duparc – Durey – Ravel – etc.

1 CD Antartica Records (2021)
AR 030
L'ensemble Revue Blanche joue Auric, Casella, Duparc, Rurey, Ravel, etc.

Deux noms fameux figurent au recto de ce disque. Revue Blanche, l’ensemble formé en 2010 par Lore Binon (voix), Caroline Peeters (flûte), Kris Hellemans (alto) et Anouk Sturtewagen (harpe), est un hommage à La Revue blanche (Liège, 1889 – Paris, 1903), publication littéraire et artistique à tendance anarchique qui n’hésitait pas à se mêler de politique (dénonciation de génocides, du colonialisme, etc.). Quant à Misia (1872-1950), elle est alors l’épouse d’un cofondateur de ce périodique, Thadée Natanson, égérie admirée par Lautrec, Mallarmé, Renoir, Proust, Stravinsky, Picasso et Diaghilev, selon les dires de Maurice Sachs. Dans Au temps du Bœuf sur le toit, en date du 8 décembre 1919, le chroniqueur livre son propre éloge de celle qui inspira des dizaines de tableaux (Bonnard, Vallotton, Vuillard, etc.), des poèmes, des chants et des modes innombrables :

« toujours étonnante et prestigieuse, Missia [sic], dont le pouvoir ne relève ni de la naissance, ni de la fortune, ni du rang, même pas de sa beauté que trois générations ont célébrée avec autant de feu. On ne sait au juste ce qui la fait unique en notre temps, mais on la voit inimitable. Riante et bourrue, elle a conquis les êtres les plus dissemblables ; elle a plu dans le monde et dans la bohème ; elle s’est attachée de petites gens et des princes. Si Rubempré arrivait à Paris de nos jours, Balzac ne lui recommanderait-il pas de se faire recevoir en premier lieu chez Missia Sert ? »

D’autant plus rares qu’arrangées pour une formation sans piano – instrument incontournable de la version originale –, les pièces de cet album ont toutes un lien avec la Reine de Paris (amitiés, dédicaces, etc.). On y croise des créations entières, comme des extraits. Ces derniers sont empruntés à Alfredo Casella (L’adieu à la vie), Erik Satie (Trois morceaux en forme de poire, Trois mélodies) et Déodat de Séverac (Douze mélodies). Quant aux autres, il s’agit d’une sonate en trois mouvements de Maurice Ravel (Sonatine), de mélodies d’Henri Duparc (Extase) et Séverac (L’infidèle), ainsi que de deux cycles complets signés Georges Auric (Six poèmes de Paul Éluard) et Louis Durey (Six madrigaux de Mallarmé). De l’art de former un joli bouquet loin des sentiers battus…

Le couple flûte et harpe est un classique de la musique chambriste, que vient épicer l’ajout d’un alto. Le trio s’avère efficace, d’une belle respiration, comme le prouve la pièce de Ravel, avec son lyrisme simple rendant l’arrangement très naturel. Chez Satie, l’instrumentarium apporte une tendresse inattendue qui renforce l’étrangeté, tandis que le cycle de Durey, hors des pages un peu candides, réserve de beaux moments d’exaltation et de fébrilité fauve. Fidèle au répertoire début de siècle [lire notre critique du CD Les poètes maudits], le soprano complète la formation, réjouissant l’écoute par sa voix tendre et un phrasé ravissant, malgré une diction cotonneuse.

LB