Chroniques

par anne bluet

Saverio Mercadante
Zaira | Zaïre (extraits)

1 CD Opera Rara (2003)
ORR 224
Saverio Mercadante | Zaira (extraits)

Toujours à la redécouverte d'ouvrages oubliés par le temps, le label britannique publie un enregistrement d'extraits de la Zaira de Giuseppe Saverio Mercadante, créée à Naples le 31 août 1831. De l'auteur, rappelons qu'il est né à Bari trente-six ans plus tôt, qu'il fut élève de Zingarelli à Naples où le San Carlo donnait son tout premier ouvrage lyrique en 1819, L'Apoteosi di Ercole. À la fin du XVIIIe siècle, l'opéra italien est à la mode, et les compositeurs sont régulièrement invités à la Cour de Saint-Pétersbourg comme à celle de Vienne. Le siècle suivant voit se développer la notion d'école nationale en musique, si bien qu'ils se voient contraints de rentrer à la péninsule ou de chercher d'autres hôtes, qu'ils trouveront en Espagne et au Portugal. La création de cette Zaira marque le retour d'un enfant du pays, puisque Mercadante voyagea beaucoup en Ibérie pour la promotion de son œuvre durant les six années qui précédèrent. L'œuvre, écrite sur un livret de Felice Romani pour la Zaira de Vincenzo Bellini qui avait fait un « four » lamentable à Parme en 1827, connut immédiatement un grand succès, explicable en partie par les prestations d'excellents chanteurs, si l'on en juge par la chronique de l'époque. Le sujet est emprunté à Zaïre, tragédie de Voltaire parue un siècle auparavant. Par la suite, Mercadante devait produire de nombreux opéras, plus de vingt messes et diriger, de 1840 à 1862, le Conservatoire de Naples qu'il quittera lorsqu'il aura totalement perdu la vue. Il fut ami de Gioacchino Rossini, qui l'invita plusieurs fois à Paris pour y jouer ses œuvres. Il quittera ce monde en 1870.

L'ouvrage nous transporte à Jérusalem à la cour du Sultan Orosmane, juste après les croisades. Le monarque garde une centaine de captifs français en ses geôles, ainsi que l'ex-roi chrétien de la Ville Sacrée, Lusignano. Le Sultan est épris d'une esclave, Zaira, qu'il espère épouser bientôt. L'intrigue oscille sans cesse entre la clémence et la générosité d'un souverain arabe imprévisible et de terribles crises d'autorité durant lesquelles il revient sur ses choix et décisions. Ainsi, Zaira rencontrera-t-elle le Chevalier Nerestano, venu de France pour payer la rançon des prisonniers, puis découvrira-t-elle en Lusignano son propre père, se voyant accordé par Orosmane la liberté de quitter Jérusalem avec lui, libéré. Soudain, le tyran emprisonne de nouveau le vieillard, et répudie la jeune fille. Pourtant, elle l'aime, et pour cet amour subira les pressions d'une situation éprouvante : Nerestano est en fait son frère, et demande qu'elle se fasse baptiser (elle fut élevée dans l'Islam) pour que Lusignano épuisé quitte ce monde dans la joie de savoir sa fille devenue chrétienne. Voyant un rival en ce chevalier, Orosmane finit par le poignarder à mort. Alors seulement, il apprend la parenté des jeunes gens et, retournant son dépit et sa haine contre lui-même, se poignarde à son tour. La pauvre Zaira y perd un père, un frère, un amant, et nul ne viendra l'affranchir de sa condition de toujours.

Cet enregistrement nous fait entendre quelques-unes des scènes les plus importantes de Zaira. On y appréciera un style qu'on pourrait situer grossièrement entre Rossini et Verdi, avec ceci de particulier et d'intéressant qu'il s'avère doué d'une inventivité de mélodiste supérieure à celles de Bellini ou Donizetti. En revanche, le traitement de l'orchestre est souvent faible, avec çà et là de jolis soli de bois, sans plus, et des passages lourdement pompeux et fanfaronnant. Pourtant, les musiciens du Philharmonia Orchestra parviennent ici à donner quelque relief à ces pages, vocalisant chacun de ses traits avec grâce, sous la direction précise, sensible, et toujours dramatique du talentueux David Parry. On citera par exemple les pizz' des violoncelles sur l'air d'Orosmane à l'Acte I, qui à eux seuls racontent déjà toute l'histoire.

Le Sultan est chanté par Alastair Miles dont la voix peut paraître fatiguée. Il accuse des graves nasillards, et des vocalises souvent lourdes et un peu traînantes. Le caractère en est nettement plus âgé que le donne à penser le livret. À l'inverse, la vaillance de Garry Magee propose un Lusignano en pleine forme dont on croit difficilement qu'il soit sur le point de trépasser. Mais c'est surtout Majella Cullagh qui fait tout l'intérêt de cette distribution, dans le rôle-titre, avec un timbre fabuleusement expressif et des vocalises d'une facilité étonnante, sachant réaliser des variations dans les da capo d'une manière admirable. Elle amène sans jamais heurter la phrase un très souple contre-mi au troisième acte qui vaut le détour. Enfin, je l'avoue, les duos exprimant des dilemmes amoureux et religieux ont su émouvoir ma sentimentalité.

AB