Chroniques

par hervé könig

Stefano Bulfon
œuvres variées

1 CD Stradivarius (2016)
STR 33779
Six pièces variées de Stefano Bulfon composent ce programme

Trois pièces pour ensemble, dont une avec voix, une autre pour alto et électronique, enfin deux pour piano constituent cette invitation dans l’univers personnel de Stefano Bulfon, musicien né dans le Frioul il y a une quarantaine d’années. Plutôt que de respecter l’ordre des plages de ce CD, explorons-le en suivant la chronologie des œuvres, couvrant une période de onze ans.

Commençons par les trois mouvements d’Il primo libro delle stanze, conçu pour piano seul (2002). Sous les doigts de Maria Grazia Bellocchio, les échos obstinés de Giostre di critallo, d’une imagination complexe qui puise tant chez Ligeti que chez Boulez, mais encore une respiration peut-être venue de Scelsi, s’égrappent très délicatement. La deuxième section, dédiée à Jean Barraqué [lire notre critique de l’ouvrage], promène les déflagrations vacantes dans une langue encore plus complexe, maintenue dans une gangue piano-dolce qui surprend. Immagine di Narciso I s’impulse depuis une phrase de Chopin qui se regarde elle-même à travers une bouffée temporelle vertigineuse.

Douze instruments pour le bref Il rovescio del sublime de 2004... qui, à plusieurs égards, sonne fin années cinquante. Il semble que l’approche du Divertimento Ensemble satisfasse, mais c’est l’œuvre elle-même qui convainc moins. Deux ans avant Quand tu étais comme avec moi dans les choses éphémères réalisé pour le cursus de composition de l’IRCAM [lire notre chronique du 23 octobre 2010], Bulfon livrait dans le même cadre Not any window pour alto et électronique (2008). L‘archet de Maria Ronchini stimule la partition virtuelle autant qu’il est stimulé par celle-ci. La démarche cherche beaucoup, sans se soucier de « réussir » là où il s’agit d’interroger toujours plus la perception de la forme jusqu’à laisser se graver une forme autre. Le temps est un fleuve sans rives retrouve le piano solo, dans un confort mezzo forte, alors qu’on n’avait quasiment pas quitté piano, pianissimo ou, au plus fort, mezzo piano. Cet opus de 2010 tournant sur elles-mêmes par fragments qui s’importunent au point de construire un édifice assez fermé de dix bonnes minutes pleines s’achevant dans une raréfaction insistante.

À Divertimento, dirigé par Sandro Gorli, vient s’ajouter le soprano Laura Catrani pour Die Art des Meinens (2012), quatre Lieder d’aujourd’hui inspirés au compositeur par sa lecture de Walter Benjamin. La voix, utilisée comme un élastique d’une résistance fabuleuse, les cordes qui répètent leurs motifs où s’emmêle la clarinette et la transposition incessante de la ligne vocale concourent à une grande tension. Le deuxième mouvement est purement instrumental… à moins qu’il le soit vocalement, au fond ! Fiorente fanciullo, le plus développé des quatre épisodes, n’hésite pas à faire appel à un lyrisme renouvelé, rendu possible par l’interrogation même de la référence philosophique. Le dernier tombe et retombe, un postlude de vents saluant sa fin.

Finissons avec Studio di trasparenze qui donne son titre au disque. Cette page pour ensemble s’articule en cinq parties de durées presque égales (entre deux minutes sept secondes pour la plus courte et, pour la plus longue, deux minutes vingt-huit secondes). La maturité rencontrée dans Die Art des Meinens s’y précise dans une sorte de dédale qui jouerait avec l’inquiétude. Des contrastes plus affirmés s’opposent au fil d’un décours osant des dislocations régénératrices. Le renoncement d’ériger des principes, lui-même érigé en principe, en fait, provoque une inventivité retrouvée, une illusion de spontanéité renouant paradoxalement avec le miracle de l’expressivité. Les deux œuvres les plus récentes de ce CD ouvrent sans doute d’autres voies à Stefano Bulfon qu’on suivra avec intérêt.

HK